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La question de la terre en Afrique du Sud

La question de la terre est un sujet ultrasensible qui n’a jamais vraiment été affrontée depuis 1994. Elle est aujourd’hui au cœur des débats et un enjeu pour l’avenir de l’ANC. Les surenchères verbales, les peurs infondées sont des pistes mauvaises à éviter pour trouver les solutions à un problème aux multiples facettes.

On ne peut pas parler sérieusement de la question de la terre en Afrique du Sud sans faire un retour sur le passé colonial et l’histoire du vol de la terre par le colonisateur. Joseph Conrad résume bien cette affaire de sang et de douleur dans Cœur de Ténèbres : « la conquête de la terre, qui consiste principalement à l’arracher à ceux dont le teint est différent du nôtre ou le nez plus aplati, n’est pas une fort jolie chose lorsqu’on y regarde de trop près ». L’appropriation de la terre par le colonisateur anglais à commencer dès 1854 avec la nomination de Sir George Gray comme gouverneur du Cap dont la mission était de « civiliser les barbares » pour une coexistence pacifique, ce qui, en fait, signifiait asseoir le pouvoir blanc sur l’asservissement de la population noire.

La découverte des mines d’or et de diamants a scellé le sort des populations noires pastorales ou cultivatrices. Les mines avaient besoin de main d’œuvre, car sans main d’œuvre pour les extraire, ces trésors enfouis sous la terre n’ont aucune valeur, comme on ne peut avoir de lait et faire son beurre sans vache. Cecil Rhodes et le Glen Grey Act de 1894 ont réussi à faire descendre dans les mines les hommes noirs comme travailleurs migrants en justifiant la pratique par la volonté de civiliser les barbares par le travail « Il est de notre devoir en tant que gouvernement de soustraire ces pauvres enfants (comprendre les noirs !) de cette vie de crasse et de paresse en leur donnant une impulsion pour aller de l’avant et trouver la dignité dans le travail ».Un travail harassant pour un salaire de misère au risque de sa vie qui fera la fortune des grands groupes miniers. Les lois sur la terre de 1913, 1936, puis les lois de l’apartheid à partir de 1950 viendront parachever la capture de la terre par l’élite blanche sud-africaine.

La restitution des terres est donc une nécessité pour réparer l’infâme héritage de la colonisation et de l’apartheid. Ce que le gouvernement de 1994 avait bien compris, mais n’à jamais entrepris de faire sérieusement. De l’aveu même de Jeremy Cronin, secrétaire d’état aux travaux publics, qui fait partie de l’équipe chargée d’organiser les débats publics sur la question de l’expropriation sans compensation, la réforme agraire a été «  d’une faiblesse pathétique, sans réelle volonté politique ».

Mais cette incapacité à répondre à une demande de plus en plus forte n’est plus tenable et le dernier congrès de l’ANC qui a décidé de reprendre à son compte la formule populiste de Julius Malema, expropriation sans compensation, doit trouver des réponses à une multitude de questions : les droits sur la terre, les titres de propriétés, à qui doit être restituées les terres, quelles terres peuvent être redistribuées, à quoi vont servir ces terres , comment garantir la sécurité alimentaire du pays, comment répondre aux besoins de terrain pour la construction de logements, etc.

Pour restituer les terres, encore faut-il savoir à qui : à une communauté ou à un individu ? à un chef de village qui empochera les bénéfices comme cela a été fait pour les concessions minières les plus récentes ? ou à une famille qui dit que ces terres lui appartenait de temps immémoriaux, ou à une veuve qui a hérité de son mari ? Comment répondre aux occupations de terres en friche dans les zones urbaines par des résidents des bidonvilles qui veulent y construire leurs maisons, une vraie maison en dur et ne plus voir leurs baraques démolies et leurs maigres biens détruits par la police ?

Les réunions publiques qui ont commencé à se tenir dans le pays ont vu s’affronter des points de vue différents sur la nécessité de réviser ou pas la section 25 de la Constitution, et par l’adoption d’une loi pour l’expropriation. Le Président Ramaphosa est contre la révision, ses adversaires pour. La question de la terre n’est pas une querelle de juristes, mais bel et bien l’enjeu pour les élections de 2019. Les fermiers blancs qui participent au début ont exprimé leurs inquiétudes pour envisager l’avenir et la population noire privée de terre sa frustration et son espoir.

Mais ce ne sont pas les fermiers blancs qui sont les plus hostiles à la réforme, mais la chefferie traditionnelle. L’ancien Président Zuma avait réussi à en faire ses alliés politiques avec la Loi sur la restitution des terres de 2014 quand il les a directement incités a mené les réclamations au nom de leur communauté. Le résultat a été un renforcement du clientélisme et de la corruption et de la frustration pour ceux qui se voyaient arbitrairement écartés de la manne.

Au Kwazulu Natal, la tension a monté d’un cran avec l’opposition du roi Goodwill Zwelithini à la proposition de la dissolution de la Fondation Ingonyama qui gère 2,8 millions d’hectares de terres pour le compte du roi. Ce dernier voit dans le plan gouvernemental d’expropriation des terres une menace directe à sa souveraineté et il envisage de faire sécession. Le roi a du mal à digérer la remarque de l’ancien vice président Kgalema Motlanthe, qui pilote les débats sur la question de la terre, « la majorité des chefs traditionnels se comportent comme des dictateurs de pacotille ». Le Kwazulu Natal a été le lieu d’affrontements sanglants entre le parti Inkatha et l’ANC pendant le début des années 1990 et aujourd’hui encore c’est la province où l’ANC a du mal a assuré son autorité. Pour calmer le jeu, c’est le président Ramaphosa lui-même qui va prendre en main ce dossier brûlant. L’enjeu de la restitution/redistribution des terres va être au centre de la campagne électorale de l’an prochain et sa réussite ou son échec seront lourds de conséquences pour l’avenir du pays. Pour comprendre la complexité des problèmes à résoudre, deux ouvrages récents sur la question Rights to Land - A guide to tenure upgrading and restitution in South Africa par William Beinart ; Peter Delius ; Michelle Hay Edition Jacana Media 2017 The Land is Ours - South Africa’s First Black Lawyers and the Birth of Consitutionalism par Tembeka Ngcukaitobi Editions Penguin 2018

”.

Publié le jeudi 5 juillet 2018


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Afrique du Sud

Terre et agriculture

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