La journée internationale de lutte contre le racisme marque la commémoration du massacre de Sharpeville, le 21 mars 1960, quand la police a tiré sur la foule qui protestait contre l’imposition du « pass » à la population noire, tuant 69 manifestants. Cette année la résurgence des actes, injures, discours racistes a pris une proportion préoccupante au point que le pays consacre une semaine à parler, dénoncer, lutter contre le racisme.
Deux prestigieuses fondations sont à l’initiative de cette semaine : la Fondation Nelson Mandela et la Fondation Ahmed Kathrada. Pour l’ouverture de la semaine, lundi 14 mars, Sello Hatang, responsable de la Fondation Mandela, déclarait :« Nous encourageons tous les Sud-Africains à parler du racisme et à ne jamais permettre aux sentiments racistes de persister dans nos foyers,nos écoles, nos universités, nos chambres à coucher ou nos braai (barbecues). Nous devons avoir une attitude de zéro tolérance pour y mettre fin. »
Pour Neeshan Balton, responsable de la Fondation Ahmed Kathrada, le racisme est un problème qui affaiblit une société et qui demande une attention urgente.”Ne pas lui accorder l’attention qu’il mérite, c’est jouer gros sur l’avenir de l’Afrique du Sud. Notre histoire, notre inégalité structurelle et la façon dont nous avons été sociabilisés ont imprimé une marque profonde dans notre identité nationale. Se défaire de quelque chose qui coule profondemment dans nos veines est une lourde tâche pour chacun de nous, mais ce n’est pas impossible”.
Le Ministère de l’éducation s’était joint à la campagne. Le Réseau Anti Raciste d’Afrique du Sud , l’Institut pour la justice et la réconciliation ont élaboré un programme pour les enseignants intitulé “Enseigner le respect pour tous”. Il s’agit de chercher à mettre au grand jour ce syndrome “de la blessure” que portent tous les Sud-Africains, hérité du système d’apartheid et de jeter les fondations d’un programme à long terme pour la construction d’une nation non raciale.
Il semble donc que plus de 20 ans après la mise en échec d’un système politique basé sur la classification en races, le racisme sous toutes ses formes soit toujours bien installé dans la vie quotidienne des Sud-Africains. Depuis#Rhodes must fall, la manifestation des étudiants de l’unversité du Cap exigeant que la statue de Cecil Rhodes disparaisse de leur campus, les articles, analyses, opinions et reflections se sont multipliés dans la presse pour essayer de comprendre pourquoi après l’espoir d’une société arc-en-ciel, les Sud-Africains continuent à la voir et à la vivre en noir ou blanc.
La réponse de Mike van Graan dans son blog est cinglante : « La nation arc-en-ciel est un mythe. Elle n’est pas morte. Elle n’a jamais existé. Plus vite nous nous débarrasserons de ce terme dans nos discours, moins nous serons déçus de la croissance de son contraire et peut-être, commencerons nous à bâtir une nation qui englobera tout le monde. » https://mikevangraan.wordpress.com/...
Moins brutal dans la formulation, c’est aussi ce que veut dire Hatang , quand il rappelle que Nelson Mandela a beaucoup travaillé à la construction de cette nation, mais que le chantier est bloqué : « il nous a aidé à gravir une colline, mais il reste beaucoup de montagnes devant nous. Le racisme est l’une de ces montagnes. »
L’histoire du pays avec la colonisation, l’esclavagisme et le système d’apartheid ont bien mis dans les têtes que la blancheur est synonyme de la perfection. Tout ce qui n’est pas blanc est inférieur et méprisable.Dans son article, Prince Mashele, résume bien le poids de cet héritage « … pour les les Randlords (ndt les premiers patrons britanniques des mines d’or et de diamants) les Noirs étaient “des sauvages” pour toujours… » , il était donc inutile d’éduquer cette masse de travailleurs à leur entière disposition. https://theconversation.com/colonia...
Le racisme, cette façon de vivre, de penser chaque moment de la vie en fonction de la couleur de la peau, n’a pas disparu en 1994. Le droit de vote pour tous, cet immense espoir qui a coûté la vie à des générations de Sud Africains, n’a pas aboli le racisme. Et en dépit de l’apparition d’une nouvelle classe moyenne noire, les structures sociales et économiques sont restées intactes : les hommes blancs sont au sommet de l’échelle sociale, les femmes noires,dans leur immense majorité, au dernier échelon.
Pour Phillip Baxter, « le racisme signifie que les Noirs sont toujours et partout regardés comme inférieurs aux Blancs et que ces derniers craignent de perdre les privilèges que le néo-colonialisme continue de leur accorder. La haine de ceux qui n’ont rien est simplement l’expression de la peur d’être un jour comme eux ». http://www.dailymaverick.co.za/opin...
Les Sud-Africains ont-il perdu la chance de construire une véritable société non–raciale en 1994, en laissant perdurer la pauvreté et les inégalités ? Tant que 20% de la population s’accaparera 65% des revenus du pays, tant que 11 millions de personnes auront pour seule chance de survivre l’octroi d’une aide sociale, tant que 30% de la population active sera privée d’emploi, parler d’une nation arc-en-ciel n’a pas grand sens.
Dan un tel contexte socio-économique, le droit de vote devient une autre source de désillusion et 9 millions d’électeurs, dont la majorité a moins de 40 ans, ne sont pas inscrits sur les listes électorales pour les prochaines élections locales. La corruption des élites, la succession des scandales dont le Guptagate, où une famille riche se permet de « choisir » les ministres ne peuvent que saper la cohésion sociale et nourrir les rancoeurs et les haines. Quel crédit ceux qui ont courageusement endosser le t-shirt portant le slogan Racism stops with me pourront-ils accorder au discours du 21 mars, journée nationale des droits humains et jour férié, prononcé par un président déshonoré par une multitude de scandales ?
Publié le dimanche 20 mars 2016
© RENAPAS
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