Le 9 août 1956, 20 000 femmes sud-africaines venues de tout le pays se sont réunies dans les jardins entourant les bâtiments du gouvernement pour accompagner leurs dirigeantes qui déposaient des milliers de pétitions collectées pendant près d’un an pour demander l’annulation de la loi imposant aux femmes noires le port du « pass ». Cette date est devenue la journée de la femme sud-africaine, mais au-delà de la commémoration que signifie être femme aujourd’hui en Afrique du Sud ?
Les femmes sud-africaines ont toujours était au cœur de la lutte contre le colonialisme et le régime d’apartheid pour la simple raison qu’elles en étaient les principales victimes. Victimes de l’oppression d’une société patriarcale en tant que femme, victimes de l’exploitation d’une société capitaliste et victimes de l’oppression raciste, elles ont vite compris la nécessité de mener de front, ensemble, une lutte contre cette triple oppression.
La Charte des Femmes fut adoptée le 17 avril 1954 à l’issue de la conférence fondatrice de la Fédération des Femmes Sud (FSAW). Elle a pour préambule ces mots prémonitoires d’une Afrique démocratique, non-raciale et non-sexiste : « Nous femmes d’Afrique du Sud, épouses et mères, Africaines, Indiennes, Européennes et Métisses déclarons notre objectif de combattre pour l’abolition de toutes les lois, règlements, conventions et coutumes qui nous discriminent en tant que femmes, et qui nous privent de l’accès à nos droits fondamentaux, aux avantages, responsabilités et opportunités que la société offre à toutes les autres sections de la population ».
Bien avant que la notion de « nation arc-en-ciel » devienne un slogan galvaudé, elle lui avait donné corps en réunissant 20 000 femmes devant le gouvernement à Pretoria. Francis Bard, une syndicaliste et une militante de l’Anc, décrit ce moment mémorable. « Toutes les femmes étaient silencieuses. 20 000 femmes debout là, certaines avec leurs bébés sur le dos, et si tranquilles, aucun bruit, attendant. Quel spectacle si calme, et tant de couleurs, beaucoup de femmes en vert, jaune et noir et les femmes indiennes dans leurs saris chatoyants ! Alors Lilian Ngoyi a commencé à parler. Elle a dit que le Premier ministre n’était pas là et qu’il avait eu trop peur de nous voir, mais que nous avions laissé les pétitions pour qu’il les voie. Alors, nous sommes restées debout en silence pendant une demi-heure.Toutes, le poing levé, silencieuses, à peine si les bébés pleuraient. Pendant une demi-heure, nous sommes restées là, sous le soleil. Pas un son. Juste l’horloge avec son tic-tac. Et puis Lilian a commencé à chanter et nous avons toutes chanté avec elle. Je n’oublierai jamais ce chant que nous avons chanté. C’était un chant écrit spécialement pour cette occasion par une femme de l’Etat Libre. Les paroles étaient comme ça : " Toi, Stridjom, tu as touché aux femmes, tu as déplacé un rocher, tu vas mourir ! "
En 1990 quand les négociations commencent entre le gouvernement de l’apartheid et l’Anc et ses alliés, les femmes savent ce qu’elles veulent voir inscrit dans la nouvelle constitution. La Coalition nationale des Femmes en 1992 regroupe soixante organisations et huit coalitions régionales. Les discussions sont intenses, les idées fusent pour inscrire la question des femmes dans la construction d’une Afrique du Sud nouvelle. Deux femmes font partie de l’équipe des négociateurs pour l’ANC : Ruth Monpati, une figure respectée de l’Anc, et une jeune militante Cheryl Carolus. Le résultat n’est pas parfait et on peut discuter à l’infini des concessions faites par le mouvement de libération, mais au moins la constitution sud-africaine inscrit dans son préambule que le pays est « une démocratie unie, non-raciale et non sexiste ».
Vingt ans après les premières élections démocratiques, où les femmes ont imposé le mot d’ordre « une personne, une voix », les femmes sud-africaines sont bien représentées au plan politique : 43% des députés sont des femmes, des femmes sont ministres, ambassadeurs, une femme sud-africaine est à la tête de l’Union africaine. Ces femmes font partie de l’élite politique, mais font-elle avancer mieux que les autres élus les revendications liées à la place des femmes dans la société sud-africaine ?
A la lecture des statistiques, on ne peut que constater qu’elles sont toujours dans leur grande majorité au bas de l’échelle sociale. Elles forment les cohortes de pauvres qui vivent d’emplois précaires et mal payés : domestiques, ouvrières peu qualifiées dans l’industrie, employées saisonnières dans l’agriculture. Les femmes n’occupent encore qu’une place très limité dans la direction et l’encadrement des entreprises.
Il existe une législation abondante concernant les droits des femmes travailleuses, mais trop de femmes ignorent encore leurs droits à des congés maternité ou parentaux, à un salaire minimum et des horaires de travail réglementés si elles sont domestiques. Le Cosatu a pris l’initiative de faire campagne pour que ces droits soient mieux connus et mieux appliqués.
Les violences faites aux femmes, les meurtres les plus sauvages, les viols alimentent la chronique quotidienne des faits divers dans les journaux. Du viol d’un bébé, à l’éviscération d’une jeune femme après un viol, l’horreur est sans limite. Pourtant le gouvernement, les syndicats, les associations civiles et religieuses mènent campagne après campagne pour dénoncer ce fléau et venir en aide aux victimes. L’affaire Pistorius serait d’une banalité navrante si ce n’était la notoriété du criminel.
Une jeune femme noire, anonyme, surnommée Braveheart qui s’est dénudé, puis a marché lentement, sans dire un mot, autour de la statue en bronze de Nelson Mandela dans un quartier chic de Johannesburg a défrayé la chronique. Son geste symbolique a été interprété par des féministes comme un appel à la protection du corps des femmes livrés à la violence.
Les commémorations vont se succéder et rappeler les grands moments de la lutte qui ont vu les femmes se tenir aux avant-postes de la lutte de libération. Mais la consigne donnée aux femmes par le Ministère de la culture et des arts, de porter un fichu noué sur la tête, le doek traditionnel, semble pour bien des féministes un symbole futile et rétrograde pour affirmer la plénitude des droits des femmes et une confusion entre le sens politique des luttes des femmes pour leurs droits et le « doek » qui affirme la féminité de celle qui le porte. Le chemin est encore long pour atteindre les objectifs affirmés par la Charte de 1954.
Plus d'informations : Cosatu Media monitor
Publié le vendredi 8 août 2014
© RENAPAS
© RENAPAS
Pour nous contacter
Conception du site : AB
Site réalisé sous SPIP