La grève qui dure depuis près de quatre mois dans les mines de platine autour de Marikana est une grève inhabituelle, non pas tant par sa longueur que parce qu’elle pose les problèmes de la dignité des mineurs, plus qu’aucune autre grève ne l’avait encore fait.
Le malaise dans les mines de platine dure depuis le début de l’année 2012, avec la rivalité entre deux syndicats, le Syndicat national des mineurs (NUM), affilié au COSATU, et un nouveau venu, le Syndicat des mineurs et des travailleurs du bâtiment (AMCU). Quand le 16 août 2012, la police a tiré sur les grévistes, faisant 34 morts, Marikana a attiré l’attention du monde entier et restera une date et un nom dans l’histoire tragique du monde de la mine.
Le calme n’est jamais vraiment revenu depuis et AMCU, qui a réussi à devenir le syndicat majoritaire, avec 70 000 adhérents, est l’interlocuteur des trois compagnies minières, Lonmin, Amplats et Implats et, à ce titre, c’est lui qui négocie les augmentations de salaires. AMCU demande 12500 rands comme salaire de base (environ 880 euros). Cette demande ayant été rejetée par le patronat, AMCU appelle à une nouvelle grève, légale cette fois-ci aux termes de la loi sud-africaine. La grève débute le 23 janvier 2014 et dure donc depuis près de quatre mois.
Aujourd’hui, Amcu est prêt à accepter que l’objectif de ces symboliques 12500 rands mensuels ne soit atteint qu’en 2017, mais insiste pour que les primes et bonus soient calculés en plus du salaire de base. La direction veut que ces 12500 rands constituent le salaire global, affirmant que cela représentera déjà une augmentation de 10%, soit une augmentation jamais accordée à ce jour dans le secteur. C’est à prendre ou à laisser, le patronat affirmant qu’il ne peut faire plus.
Quatre mois de grève, cela veut dire que les mineurs et leurs familles n’ont pas reçu un sou, que la vie déjà difficile en temps normal est devenue intenable. Les gens meurent de faim, les enfants ne vont plus à l’école, la peur s’est installée, la violence est quotidienne. Un grand nombre de mineurs ont quitté la mine pour retourner dans leurs villages.
En effet, les conditions de recrutement des mineurs n’ont pas changé depuis 1902 : c’est toujours le Bureau de l’emploi pour l’Afrique ou TEBA qui recrute les mineurs dans les campagnes, ou dans les pays limitrophes Lesotho, Botswana, Mozambique, Zimbabwe, pour les faire travailler sous contrat dans les mines. En Afrique du Sud, la province du Cap oriental, pauvre et rurale, est connue pour être une zone de recrutement des travailleurs migrants.
Le seul changement intervenu depuis la fin de l’apartheid concerne les conditions d’hébergement. Les mineurs peuvent choisir de pas vivre dans les « hostels » pour célibataires, mais de résider à l’extérieur et de percevoir une indemnité de logement. Un choix difficile à gérer, car en optant pour la liberté de vivre à l’extérieur, le mineur peut faire venir sa famille, mais il lui faut trouver un logement. Et des logements, il n’y en pas. Seule solution, la baraque, sans eau ni sanitaire, le shack, qui va s’agglutiner à d’autres shacks… Très vite, un nouveau bidonville ou informal settlement s’installe aux abords de la mine. La municipalité et les compagnies minières se renvoient la balle quand les gens manifestent pour de meilleures conditions de vie. Le bidonville devient la proie facile des prêteurs sur gages, les banquiers des pauvres, et les gangs qui trafiquent femmes, alcool et drogues font la loi.
C’est dans ce décor sordide que les grévistes jouent leur travail et leurs vies. Leur travail parce que les compagnies minières licencient à tour de bras depuis des années, que ce soit dans les mines d’or, de diamants, de platine ou de charbon. Le patronat entend mécaniser une production qui utilisait jusqu’à présent une main-d’œuvre abondante et bon marché, pilier de l’économie du régime d’apartheid. Amplats prévoyait 14000 licenciements et devant les résistances syndicales à ramener ce chiffre à 3300 seulement ! Les mineurs risquent aussi leur vie : en 2011, 120 mineurs ont trouvé la mort au fond de la mine, 167 en 2012 et un rapport sur la sécurité dans les mines note que 65% seulement des compagnies minières respectent les normes de sécurité. Il faudrait aussi parler des mineurs silicosés que l’on renvoie dans leurs villages avec de bien maigres indemnités, si elles sont jamais versées.
La question des salaires est aussi le révélateur des inégalités criantes de la société sud-africaine. Alors que la demande d’un salaire minimum pour les mineurs les moins qualifiés est de l’ordre de 7645 rands (539 euros), jugé trop élevé par le patronat, le salaire annuel moyen d’un dirigeant d’une compagnie minière est de 12.689.000 rands (894.700 euros), et Nick Holland, le PDG de Gold Fields empoche le pactole de 45 millions de rands par an !
Quand les mineurs de platine demandent 12500 rands par mois, le patron d’Amplats, Chris Griffith, empoche 17,6 millions de rands par an, et justifie son salaire par ces mots « Je travaille. Je ne suis pas en grève. Je demande à être payé à ma juste valeur ». Dans le contexte actuel, on comprend que deux jours plus tard il se soit excusé : « le choix des mots était inapproprié et malheureux dans la situation difficile dans laquelle nous nos trouvons ». Maladresse et excuses n’enlèvent rien à la dure réalité que son salaire serait encore 117 fois plus élevé que celui du mineur qui gagnerait enfin les tant convoités 12500 rands par mois.
Toutes les négociations entre le patronat et le syndicat ayant échoué, la Commission de conciliation n’ayant pas réussi à trouver un compromis d’entente entre les parties, la direction de Lonmin a décidé de faire connaître ses propositions à chaque mineur, en les contactant par SMS et en leur demandant s’il était prêt à reprendre le travail. La direction avait prévu des bus pour acheminer les mineurs sur leurs lieux de travail, mais il semble que le résultat ne soit pas à la hauteur des espérances patronales qui a refusé de donner le nombre de mineurs de retour à la mine.
Ce n’est pas l’envoi de SMS individuel à chaque mineur pour lui expliquer que le patronat fait ce qu’il peut, mais ne peut pas plus, pour l’inciter à reprendre le travail qui va résoudre les graves problèmes de l’industrie minière et de ses milliers de travailleurs. La méthode du « diviser, pour régner » ne fait qu’attiser la violence entre grévistes et non grévistes et pourrir encore plus le climat.
Après quatre mois de grève, une dizaine de morts, des milliers de familles plongées dans la misère, aucune solution n’est en vue. Seule une volonté de tous les acteurs de remettre en question tous les fondements sur lesquels reposent l’industrie minière sud-africaine permettrait de sortir de la crise. Pour le moment, les mineurs sont les seuls à poser les bonnes questions.
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Publié le samedi 17 mai 2014
© RENAPAS
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