Rivonia est une banlieue chic de Johannesburg, mais en juillet 1963, c’était encore le veld avec une ferme, Liliesleaf Farm, qui est entrée dans l’histoire comme un haut lieu de la lutte contre le système d’apartheid. Le 11 juillet 1963, une descente de police décapita la direction de l’Anc, de son aile armée MK et la direction du Parti communiste, déjà interdit depuis 1950. Rivonia, c’est aussi le procès qui a condamné Nelson Mandela et 7 autres dirigeants à la prison à vie : Walter Sisulu, Govan Mbeki, Andrew Mlangeni, Raymond Mhlaba, Ahmed Kathrada, Elias Motsoaledi et Denis Goldberg.
Jusqu’à présent, la presse n’était guère prodigue d’information, encore moins d’éloges, et les hommes politiques évitaient le sujet, car ceux qui ont été raflé à Rivonia ne méritaient pas encore le qualificatif de héros, mais celui plus péjoratif de terroristes, de communistes, une bande de « juifs » et de « kaffres » qui sentaient la potence.
Après le massacre de Sharpeville en 1960 et l’interdiction de toutes les organisations qui contestaient le régime d’apartheid, l’exil ou la clandestinité étaient les seules options pour ceux qui voulaient continuer la lutte contre un régime haï par la majorité de la population et qualifié en 1973 de crime contre l’humanité par les Nations unies. Ceux qui étaient entrés en clandestinité avaient besoin d’un lieu où se retrouver et planifier la lutte.
Ce lieu fut Liliesleaf Farm qui avait été acheté par des militants communistes, des Blancs aisés, souvent des enfants de juifs venus de Lituanie au début du 20eme siècle. Grâce à de subtiles transactions menées par Michel Harmel, Harold Wolpe et Arthur Goldreich la ferme devint le quartier général des militants clandestins. Nelson Mandela, déguisé en jardinier et sous le nom de David Motsamayi, devenu le Mouron noir de la police sud-africaine, y trouva refuge et élabora avec ses compagnons des stratégies de lutte contre le régime avant son arrestation en 1962.
Les allées et venues de nombreuses personnes blanches et noires, des témoignages de voisins qui s ‘inquiétaient de cette étrange cohabitation alertèrent la police qui cherchait à mettre la main sur ces « terroristes ». Pourtant tous avaient soigné leur « look ». Ahmed Kathadra, l’Indien avait teint ses cheveux en roux et un habile maquillage pouvait le faire passer pour un blanc bien bronzé, Walter Sisulu, dont le père était Blanc, avait réussi à lisser ses cheveux crépus et une moustache en guidon de vélo pouvait le faire passer pour un métis du Cap, David Goldberg, l’ingénieur blanc, avait dissimulé ses traits sous divers postiches et Govan Mbeki vaquait à ses occupations en salopette d’ouvrier agricole.
Ses déguisements d’amateurs ne faisaient pas le poids devant la police sud-africaine, bien renseignée par la Cia et certainement d’autres services secrets occidentaux. La rafle eut lieu vers trois heures de l’après midi et personne n’y échappa. Tout le monde fut détenu au secret pendant 90 jours dans divers endroits selon la race de chacun et les documents retrouvés sur les lieux laissaient peu d’espoir aux futurs prévenus du procès de Rivonia. Comme le dit Denis Goldberg dans ses mémoires avec un brin d’humour « si nous avions mieux fait le ménage, les papiers de Nelson Mandela n’auraient pas été retrouvés dans la réserve à charbon ».
La suite est connue, c’est le fameux procès de Rivonia où l’accusé n°1, Nelson Mandela , transformera un procès pour sabotage et haute trahison qui aurait du le conduire droit à la potence avec ses compagnons, en procès contre le système d’apartheid, faisant connaître au monde entier que la lutte de l’Anc était une lutte juste pour tous les Sud-africains et pour faire de ce pays celui où « tous ceux qui y vivent, Noirs et Blancs puissent y vivre en harmonie ».
Ce qui est moins connu, c’est l’attitude des pays occidentaux qui aujourd’hui n’ont pas de mots assez forts pour vanter les louanges des anciens terroristes. A l’époque de la guerre froide et des indépendances africaines, l’Afrique du Sud était considérée comme « un rempart contre le communisme » et un allié. Si des voix s’élevaient contre le régime d’apartheid, les gouvernements des pays occidentaux n’étaient pas prêts à lâcher un allié stratégique et un partenaire commercial important. Au Conseil de Sécurité des Nations unies en avril 1960, après le massacre de Sharpeville, la France et la Grande-Bretagne se sont abstenues au cours du vote d’une résolution demandant à l’Afrique du Sud d’abandonner le système d’apartheid , et en octobre1963 , une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies demandant l’arrêt des arrestations arbitraires et la libération des prisonniers politiques fut adoptée à l’unanimité, mais la France, la Grande-Bretagne, les Usa et l’Australie choisirent de s’abstenir sur le paragraphe 2 qui faisait référence au procès de Rivonia et demandait à l’Afrique du Sud « d’abandonner le procès arbitraire en cours ».
Aujourd’hui Liliesleaf Farm est devenu un musée et un lieu de mémoire sous la direction de Nicholas Wolpe l’un des fils de Harold et Annmarie Wolpe qui furent au centre de l’histoire de cette ferme. Nicholas né le 16 avril 1963 avait trois mois quand son père fut arrêté et sa mère harcelée par la police. Ses parents sont partis en exil quand son père s’évada de prison. Nicholas est revenu en Afrique du Sud en 1991 pour poursuivre à sa manière la lutte de ses parents. Il s’agit cette fois de garder la mémoire de ce que furent ces années sombres au pays de Nelson Mandela et de ses compagnons de lutte.
Jacqueline Dérens
Publié le samedi 13 juillet 2013
© RENAPAS
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