La violence envers les femmes a pris des proportions semblables à une épidémie dans toute l’Afrique du Sud. Une femme meurt sous les coups de son compagnon toutes les six heures. Le Centre Saartjie Baartman (SBC) se trouve à Athlone dans la zone appelée Cape Flats. Ce quartier connaît un très fort taux de criminalité, de gangstérisme, de maltraitance des enfants, de violence domestique, de toxicomanie et de chômage.Pour le Saartjie Baartman Centre, cette situation s’explique en grande partie par le déséquilibre du contrôle du pouvoir entre les hommes et les femmes. Le SBC s’est engagé à travailler pour mettre fin à cette violence en donnant aux femmes une capacité de pouvoir dans toutes les sphères de la vie publique et privée et par la promotion de la dignité et du respect pour tous.
Saartjie Baartman est un nom très symbolique. Pourquoi avoir donné ce nom à votre centre ?
SS- Ce nom a été choisi pour rendre hommage à Saartjie « Sarah » Baartman qui pour beaucoup d’entre nous est le symbole de toutes les femmes qui ont été victimes de violences et d’oppression depuis des années. Saartjie Baartman est née en 1789 dans la région du Cap oriental et elle a grandi dans la zone appelée Cape Flats qui se trouve aujourd’hui dans la province du Cap occidental. Elle appartenait à la tribu des Griqa, un sous-groupe du peuple Khoisan qui croit-on ont été les premiers habitants aborigènes à la pointe sud de l’Afrique. Vers l’âge de 21 ans un homme a réussi à la convaincre d’aller à Londres avec lui , où il la montra comme une bête de foire, ‘a freak of nature », un monstre à cause de son allure physique exceptionnelle, des fesses et des organes génitaux énormes. Elle fut ensuite vendue à un Français, un montreur de bêtes sauvages » qui lui fit subir le même traitement inhumain à Paris. Son apparence physique fut l’objet de bien des spéculations de la part des savants de l’époque. Après sa mort prématurée, à l’âge de 27 ans , son corps fut disséqué par le savant français Cuvier , les morceaux mis dans des bocaux , disposés sur des étagères à la vue du public au Musée de l’Homme à Paris jusqu’en 1974 ! Après 1994, des membres du peuple Khoisan et le nouveau gouvernement d’Afrique du Sud ont réclamé les restes de la dépouille de Saartjie Baartman et après bien des arguties légales ou scientifiques et de longues négociations , la dépouille de Saartjie Baartman est revenue en Afrique du Sud en 2002 où elle repose parmi les siens.
- Que signifie d’un point de vue légal la fin du régime d’apartheid pour les femmes ? Il semblerait qu’il y a des contradictions entre ces lois plutôt progressistes et la réalité vécue par les femmes au quotidien ? Comment expliquez-vous cela ?
SS - En 1994 nous avons vu la fin officielle du régime d’apartheid et le début de la construction d’une société démocratique.Cela voulait dire aller vers une culture des droits de la personne et les droits des femmes solidement inscrits dans la Constitution. Il y a eu d’importants changements législatifs par exemple l’introduction de la Loi sur la violence domestique en 1998 et bien d’autres. L’Afrique du Sud a signé plusieurs accords internationaux pour mettre fin aux violences faites aux femmes, comme la Déclaration de Beijing et la Plate-forme d’action, le Comité pour l’élimination des discriminations envers les femmes , le Protocole de la Charte africaine pour les droits de la personne et des peuples et les droits des femmes en Afrique. Le gouvernement a fait de la parité sa priorité en nommant 30 à 40 % de femmes dans les cabinets ministériels. Mais en dépit de toutes ces avancées dans les lois, il semble qu’il n’y a pas eu de véritable volonté politique pour les rendre effectives dans la vie courante. Si bien que nous n’avons pas vu une réelle diminution de la violence envers les femmes et les enfants, en fait on peut même dire que cette violence et plus forte aujourd’hui. De plus il y a eu un effondrement des organisations de la société civile à cause du manque de financement par le gouvernement. Et puis bien sûr il y a l’explosion de la pandémie du sida qui a exacerbé la situation.
Le Centre Saartjie Baartman a pour objectif d’apporter des réponses au problème de la violence contre les femmes. Quelle aide offrez-vous à ces femmes victimes de violences ? Combien de femmes accueillez vous chaque jour ? chaque mois ?
SS - Les femmes qui viennent au centre ont accès à toute une série de services.Cela va de l’évaluation de la situation faite par des conseillers formés à leur arrivée, des conseillers spécialisés en traumatologie : viol, agression sexuelle, alcoolisme ou drogue, sida. Nos services offrent aussi un hébergement sécurisé de moyenne durée, une assistance juridique, des formations professionnelles et des programmes extérieurs de sensibilisation dans les écoles et les quartiers.
En moyenne nous assistons 500 femmes chaque mois et certainement beaucoup plus de femmes et d’enfants avec nos programmes extérieurs.
Est-ce suffisant d’accueillir ces femmes pendant un certain temps, puis de les renvoyer dans leurs quartiers ? Avez-vous un moyen de poursuivre le travail qui a été fait au centre ? quelle réponse à ce problème ?
Nous pensons que l’hébergement d’urgence est un service de première importance parce qu’il apporte une solution immédiate et assure la sécurité de ces femmes. Nous leur donnons aussi les moyens d’acquérir des compétences qui peuvent les aider a quitter leur environnement violent et en finir avec les relations violentes. Nous connaissons bien la complexité des ces relations avec un environnement violent, aussi nous leur donnons la possibilité de revenir au centre d’hébergement si elles en éprouvent le besoin. Nous n’avons pas de limites géographiques et nous accueillons des femmes venues de partout, même des femmes étrangères victimes de la traite des êtres humains. Cela rend compliqué le suivi des femmes, et en plus nos moyens sont limités. Autant que faire se peut, nous envoyons les femmes dans des structures adéquates dans leur quartier où elles retournent vivre. Pour une aide de longue durée, nous offrons ce que nous appelons un hébergement transitoire, à plus long terme où les femmes peuvent vivre un ou deux ans. Nous avons aussi les capacités de répondre à des situations d’urgence. Par exemple notre expertise pour l’accueil des personnes vulnérables a été effectivement utilisée en mai 2008 quand nous avons accueilli un grand nombre de femmes et d’enfants qui fuyaient les quartiers à cause de la vague d’attaques xénophobes contre les étrangers.
Quels sont les besoins pour améliorer le travail de votre centre à court et à long terme ?
SS- Etant donné l’importance de la violence domestique et le manque de ressources nous avons besoin de beaucoup plus de soutien de la part de tous les secteurs de la société pour, non seulement, assurer notre capacité à fournir des services , mais aussi pour avoir la capacité de mettre au point des stratégies à long terme viables pour mettre fin à la violence.Nous avons aussi besoin d’une véritable volonté politique et d’une stabilité financière. Depuis des années nous travaillons dans un ancien bâtiment qui appartient au gouvernement et nous devons batailler en ce moment pour le renouvellement de notre bail. Comme nous ne sommes pas propriétaire des locaux, nous sommes très exposés aux décisions du gouvernement qui peut décider de changer d’idée et choisir un autre programme. Comme nous travaillons essentiellement avec des femmes et des enfants qui sont victimes de violence, nous avons des besoins spécifiques pour assurer leur sécurité . En ce moment nous sommes obligés de partager les locaux avec un centre pour les toxicomanes, essentiellement des hommes (85 %) et cela n’est guère compatible avec notre travail. En ce moment nos cherchons des conseils auprès de juristes pour assurer les droits de ces femmes et de ces enfants que nous abritons.
Les femmes des différents pays affrontent des défis particuliers à leur pays, mais il y a aussi des points communs avec toutes les femmes comme le combat pour l’égalité de genres et contre le patriarcat.
Propos recueillis par Jacqueline Dérens
Publié le jeudi 12 novembre 2009
© RENAPAS
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