On connait le triste sort des rhinocéros, abattus pour récupérer leur corne, dont on fait une poudre aux multiples vertus. Vendue sur le marché asiatique, elle rapporte gros à ceux qui dominent ce marché illégal. On connaît moins le braconnage des ormeaux, ces petits coquillages dont la chair, succulente, est objet de convoitise. Espèce rare et protégée, la pêche et la vente illégale de l’ormeau rapportent gros au crime organisé.
Un bon rhinocéros est un rhinocéros mort
Pour son malheur, seule la corne de rhinocéros a de la valeur : une corne peut atteindre jusqu’à 300 000 dollars, d’où le massacre qui met en péril l’espèce. Les Chinois et les Vietnamiens accordent à la poudre de corne de rhinocéros des vertus thérapeutiques allant du traitement de l’hyper tension au rhumatisme , en passant pour souveraine contre la gueule de bois des riches qui font trop la fête.
Le braconnage de ces malheureuses bêtes est bien renseigné, mais les journalistes d’OCRRP , ont mis en évidence les liens entre le braconnage et les millionnaires amateurs de chasse aux trophées. Christo Wiese, un richissime hommes d’affaires sud-africain, pris la main dans le sac depuis et mêlé à un tas d’embrouilles financières, avec son compère Jacques Hartzenberg, co-propriétaire d’une ferme, située à la frontière namibienne, Kalahari Oryx Farm, avaient acheté à prix au dessous du marché un nombre non indentifiable de rhinocéros au Krugers Park , en violation de tous les règlements, pour en revendre une partie à un millionnaire russe, Rashid Sardarov , grand amateur de chasse et propriétaire d’une ferme dédiée à la chasse au gros gibier, Marula Farm , située près de Windhoek, la capitale de la Namibie. En examinant la transaction de près, les journalistes de OCCRP ont constaté une foule d’anomalies, en particulier que les bêtes étaient payés suivant la taille de leur corne et que l’achat ne concernait que des mâles. Rien à voir avec un quelconque sentiment envers ces grosses bêtes et le désir de sauvegarder l’espèce.
La violation des lois et règlements est monnaie courante et nombre de bêtes meurent aussi lors des transferts d’une ferme à une autre, leurs cornes ne sont jamais retrouvées. La chasse aux trophées est largement utilisée comme paravent de la vente au marché noir des cornes à destination des pays asiatiques.
La photo d’un bébé rhino près de sa mère ensanglantée provoque à juste titre l’émoi et l’indignation, un ormeau arraché de son rocher fait rarement pleurer et pourtant ce braconnage coûte très souvent la vie aux plongeurs qui travaillent pour des gangs qui ont la haute main sur la vente illégale des ormeaux.
L’ormeau, l’or bleu d’Afrique du Sud
L’Afrique du Sud avec sa production de 1400 tonnes par an est au troisième rang mondial, cette production des 12 fermes d’élevage est essentiellement réservée à l’exportation vers les pays asiatiques, en particulier la Chine qui en consomme près de 85000 tonnes par an. En pleine expansion, l’industrie est menacée par le braconnage.
Les ormeaux sauvages abondent sur la côte sud ouest, non loin de la ville du Cap, dans Gans Bay. Bien connue des touristes à la recherche de sensation forte pour ses cages à requins, la baie est aussi le haut lieu de la pêche illégale des ormeaux. Depuis plus de vingt ans des plongeurs facilement recrutés dans les bidonvilles avoisinants partent chaque nuit à la recherche du précieux coquillage. Plus de 2000 tonnes de pied d’ormeaux sont ainsi expédiés chaque année vers les marchés du sud-est asiatique où le prix moyen est de 400 euros le kilo.
On ne compte pas le nombre de plongeurs qui ont perdu la vie en faisant ce travail, mais au moins cinq ont été dévorés par les requins ces dernières années. Les plongeurs sont amenés de nuit en bateaux pneumatiques près des îles rocheuses où le coquillage abonde. Au bout d’une heure, ils remontent avec le précieux butin récupéré par les trafiquants qui vont préparer, sécher le pied comestible avant de l’expédier vers Hong-Kong. Les plongeurs sont des jeunes hommes, parfois des adolescents, plus ou moins bien équipés de matériel de plongée recrutés dans le bidonville d’Eluxolweni. Le gain de 500 euros environ pour une nuit de travail est plus fort que la peur des requins, ou de la police qui traque les braconniers.
Des descentes de police ont lieu régulièrement mais sans grand succès et ceux qui vivent de la pêche illégale des ormeaux n’ont guère d’autre solution pour faire vivre leurs familles. « Il n’y a pas de travail ici. Nous vivons de la mer…j’ai un bateau, mais ils ont supprimé nos droits de pêche. On doit travailler deux mois seulement. On fait comment pendant les 10 mois restant pour nourrir la famille ? » ironise un pêcheur qui n’a pas l’intention d’arrêter le braconnage.
En fait, la pêche sud-africaine est malmenée par des autorités incompétentes et malhonnêtes depuis des années. Les ormeaux pêchés illégalement qui sont saisis par les autorités sont revendus dans l’espoir d’enrayer les profits des trafiquants, mais le processus est si opaque que personne ne sait vraiment où va l’argent. Kimon de Graaf, le journaliste qui enquête depuis des années sur le trafic des ormeaux a récemment titré un de ses articles : Le service des pêches, pourri jusqu’à la tête www.groundup.org.za/article/... Ce qui a le mérite de bien résumer une situation compliquée où les intérêts de chacun dépasse de loin la protection des précieux coquillages.
Le pillage des richesses de la mer, comme le braconnage des grands animaux sauvages dans la savane ne sont que l’aspect le plus spectaculaire d’un problème plus profond : la pauvreté et les inégalités qui déchirent la société sud-africaine et qui font sombrer d’honnêtes citoyens dans le monde sans pitié de l’illégalité.
Kimon de Graaf a recueilli le récit d’un plongeur, Shuhood Abader ; tous deux signent l’ouvrage : Poacher : Confessions from the abalone underworld
Publié le samedi 5 janvier 2019
© RENAPAS
© RENAPAS
Pour nous contacter
Conception du site : AB
Site réalisé sous SPIP