Les turbulences de l’an passé ont toutes les chances de continuer à troubler le climat politique et social de l’Afrique du Sud en 2016. La situation exige des changements profonds dans la conduite des affaires du pays. Jacob Zuma tout en admettant la nécessité de ces changements, est-il l’homme de la situation ? Son gouvernement répondra-t-il aux attentes des étudiants ? Des chômeurs ? De la société ? L’Anc évitera-t-il l’hémorragie électorale pour les élections locales de 2016 ?
L’année a assez mal commencé pour Jacob Zuma. Un gigantesque placard publicitaire a fait son apparition sur un immeuble de la ville du Cap avec un mot d’ordre sans ambiguïté : Zuma must fall. Personne ne sait qui a réussi à le mettre en place : le DA, parti d’opposition qui dirige la ville nie toute responsabilité, le propriétaire de l’immeuble aussi. Des militants de l’Anc sont partis à l’assaut de l’immeuble pour enlever cet affichage en menaçant de revenir jusqu’à ce que disparaisse ce qui est pour eux une insulte au président. L’affiche a finalement disparu, mais l’incident laissera des traces.
Ce genre de slogan lapidaire est dans la foulée de celui imaginé par les étudiants de l’université du Cap pour exiger que l’on retire de leur vue la statue de Cecil Rhodes, symbole du colonisateur prédateur. Après le succès de #Rhodes must fall, ils ont poursuivi avec #Fees must fall pour manifester leur colère devant le prix exorbitant des frais universitaires. Le gouvernement a gelé les augmentations, mais on est loin de l’enseignement gratuit pour tous et avec la reprise de l’année universitaire, la mobilisation a repris elle aussi.
Ces trois slogans sont un message clair pour le gouvernement de l’Anc : cela ne peut pas continuer, il faut rectifier le tir et répondre aux espoirs soulevés par la fin de l’apartheid et l avènement d’un régime démocratique élu au suffrage universel. Mais de l’eau a coulé sous le pont depuis les élections de 1994 et la liesse qui avait accueilli l’élection du premier président noir de l’Afrique du Sud, Nelson Mandela l’ancien bagnard terroriste devenu icône planétaire, a fait place au désenchantement amer du retour à la réalité difficile à accepter du racisme, de la pauvreté et des inégalités.
Le racisme que l’on pensait disparu avec le régime honni est toujours là et les réseaux sociaux ont bourdonné d’indignation après le tweet détestable de Penny Sparrow, comparant les Noirs sur les plages de Durban à des singes dégoûtants !!! Le placard Zuma must fall a été dénoncé comme un acte raciste par l’Anc qui dans sa déclaration appelle tous les Sud-Africains à déclarer « la guerre au racisme » et dénonce cet acte comme « un stratagème pour éviter une véritable discussion sur le racisme » et une tentative pour un retour au passé par quelques nostalgiques de l’apartheid.
La pauvreté reste le lot de la majorité de la population sud-africaine noire, le chômage dont le taux officiel est d’environ 25% de la population active, frappe surtout les jeunes et les femmes. La création d’emplois promise avec le plan de développement national tarde à venir et la calamiteuse valse des ministres des finances, trois nommés en quatre jours, n’a pas du tout été appréciée du monde des affaires. Le rand a fait une chute vertigineuse, les investisseurs se montrent de plus en plus prudents, la croissance stagne, les prix des matières premières s’effondrent, l’inflation galope et par dessus le marché une sécheresse sans précédent frappe l’agriculture.
Le torchon brûle encore une fois entre les alliés, Anc, Cosatu et Sapc. La signature du président au bas d’une loi controversée sur la gestion des retraites a provoqué la colère du Cosatu qui menace de ne pas faire campagne pour l’Anc pour les élections locales de 2016. Dans sa déclaration la fédération syndicale qualifie cette signature « d’acte flagrant de provocation par le gouvernement dirigé par l’Anc qui aura des conséquences désastreuses sur les relations entre le gouvernement et les travailleurs ».Si la menace devient réalité, l’Anc pourrait bien perdre la direction de plusieurs grandes villes comme Johannesburg ou Port Elizabeth.
Alors que la bataille électorale s’annonce rude pour l’Anc, le Président sera devant les tribunaux en février et en mars prochain pour l’affaire dite des « spy tapes » qui traîne depuis 2009, une histoire très embrouillée de corruption. En février, la Cour constitutionnelle pourrait admettre que Julius Matema et son parti EFF, le parti d’opposition l’Alliance démocratique et des organisations de la société civile ont raison de réclamer au Président de rembourser les dépenses excessives de la rénovation de sa résidence de Nkandla.
Toutefois, comme le fait remarquer l’analyste Steven Friedman, il est trop facile de faire porter le chapeau à un seul homme. Jacob Zuma n’est qu’un homme politique et ce n’est pas lui qui « a inventé les divisions raciales, la pauvreté et les inégalités. Il n’a même pas inventé la corruption et l’inefficacité du gouvernement.. ». C’est une forme de déni des vrais problèmes que doit résoudre le pays et « une obsession qui nous empêche de discuter des causes … et de reconnaître que la minorité est là pour rester et contribuer à l’économie du pays, mais que l’économie et la société sont aussi au service de la majorité ». http://www.bdlive.co.za/opinion/col...
Le malaise social et politique que traverse aujourd’hui l’Afrique du Sud remonte aux négociations qui ont conduit au compromis permettant de mettre fin au système d’apartheid. Mais ce compromis a aussi mis des bâtons dans les roues pour une transformation en profondeur du pays. Le pacte conclu entre les parties a conduit à une transition de compromis qui « a laissé intact les privilèges des Blancs, sans diminuer la pauvreté des Noirs ». L’économiste Patrick Bond, à qui on doit cette formule, se demande si les douze points du « pacte faustien » néolibéral de 1994 ne devraient pas aujourd’hui être clairement remis en cause étant donné les ravages causés à la société et à l’économie sud-africaine. https://theconversation.com/why-sou...
2016 sera-t-elle l’année de la fuite en avant, de la politique de l’autruche aux conséquences désastreuses ou celle de la reprise en main par un mouvement démocratique fort capable d’imposer les transformations nécessaires pour répondre aux attentes des citoyens sud-africains ?
Publié le lundi 18 janvier 2016
© RENAPAS
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