Dans un ouvrage publié en 1975, For their thriumphs and for their fears Hilda Bernstein, une militante anti-apartheid avait montré en quoi être femme, être noire et être travailleuse était une triple oppression en Afrique du Sud. Ces femmes n’avaient pas en tête le concept d’intersection alité, mais elles le vivaient au quotidien.
Le d’août est le mois dédié aux droits des femmes d’Afrique du Sud depuis leur marche sur le gouvernement de Pretoria le 9 août 1956, quand 20 000 femmes noires, blanches, indiennes et métisses avaient déposé des milliers de pétitions collectées dans tout le pays pour protester contre l’imposition des « pass » aux femmes noires, cet infamant laisser-passer pour la seule population noire pour contrôler tous ses mouvements. La nation arc-en-ciel ce jour là portait la jupe.
Dans son introduction, Hilda Bernstein, écrit « Les rôles dans la vie sont déterminés dès la naissance, en premier lieu par la couleur de la peau, en second par le sexe et par la classe économique »…et « si un/une enfant veut changer le rôle qu’on lui a attribué, alors il/elle trouvera qu’il n’y pas d’autre moyen de le changer sauf à changer la société tout entière. Cela s’applique aux hommes comme aux femmes, mais avec plus de force aux femmes africaines ». Le terme africain entendu comme non blanc. Tout sous le système d’apartheid était fait pour diviser et hiérarchiser la population afin d’assurer la domination blanche par l’exploitation de la population non-blanche.
Après avoir décrit chapitre après chapitre la situation des femmes noires : destruction des familles par le travail migrant ; déplacements forcés ; recherche d’un travail « féminin » toujours mal payé et peu gratifiant (domestiques, ouvrières , au mieux infirmières ou institutrices), Hilda Bernstein montrait comment les femmes en participant à la lutte de libération donnaient une force particulière à cette lutte politique « …car la libération des femmes n’est pas seulement une question d’amender des lois ou de changer les attitudes masculines, mais la restructuration d’une société dont le but est la liberté et la justice pour tous ».
Dans le tumulte que connaissent aujourd’hui les luttes féministes, il n’est jamais fait référence aux luttes des femmes en Afrique du Sud alors que le mode opératoire de l’oppression du système d’apartheid est un formidable verre grossissant pour mieux comprendre comment la terrible machine à broyer les droits et libertés des individus fonctionne encore aujourd’hui.
Pour qui veut s’intéresser à cette lutte, les sources ne manquent pas, comme ne manquent pas aujourd’hui des écrits universitaires, des essais par de jeunes chercheuses sud-africaines qui réfléchissent à la situation des femmes sud-africaines vivant sous un régime démocratique qui a multiplié les lois donnant des droits nouveaux aux femmes, mais qui n’arrive pas à mettre un terme à la violence genrée, qui perpétue l’exploitation éhontée du travail des femmes et qui brise sans pitié de jeunes vies pleines de promesses.
Pourquoi toujours chercher un modèle américain et adopter maladroitement des termes qui ne correspondent pas à ce que vivent les femmes ici et ailleurs ? Penser taille unique pour toutes les femmes n’aboutit qu’à une cote mal taillée pour toutes. La lutte des femmes pour leurs droits est universelle, mais cela ne veut pas dire que sur la ligne de départ elles soient toutes à égalité.
Pourtant cela n’a pas empêché les femmes d’Afrique du Sud de mener ensemble des luttes qui ne concernaient qu’une fraction d’entre elles. La lutte contre les pass de 1956 est emblématique de cette force commune des femmes, comme la lutte pour le suffrage universel menée aussi bien par celles qui avaient déjà le droit de vote depuis 1930 parce qu’elles étaient blanches, que par les femmes noires privées de droits civiques. Le slogan « une personne, une voix » qu’elles ont imposé en avril 1994 a définitivement mis fin à « un homme, une voix » qui prétendait illustrer la revendication du suffrage universel.
On a fait de Nelson Mandela et de ses compagnons de lutte des héros, presque des saints à leur corps défendant, mais qui pourrait dire sans hésiter qui est Lilian Ngoyi ?Albertina Sisulu ? Helen Joseph ? Ruth First ? Frances Baard ? Emma Mashini ? Frene Ginwala ? Dulcie September ? Et tant d’autres qui combattu pour mettre fin à un système qualifié de crime contre l’humanité. L’histoire de cette lutte peut aussi s’écrire au féminin.
Avec l’apparition de la pandémie du Covid 19, les inégalités qui frappent toujours les femmes sont révélatrices du gouffre qu’il y a entre les lois et la réalité vécue. La faim est devenue une hantise dans les townships et les zones rurales, plus redoutée encore que la maladie. Manger et donner à manger aux enfants est la préoccupation majeure des femmes noires qui ont très souvent perdu leur emploi et donc tout revenu sauf les aides sociales.
Devant l’adversité, maintenant comme avant, ce sont les femmes qui sont en première ligne. Dans les hôpitaux pour soigner les malades, elles risquent leur vie, dans les quartiers elles animent les soupes populaires, anonymes mais toujours présentes. Le confinement imposé ne les a pas protégées de la violence domestique. Dans un de ces discours, le Président Ramaphosa a qualifié cette violence de désastre national, c’est presque un euphémisme quand une femme meurt sous les coups toutes les trois heures et que les causes sont toujours le chômage, la pauvreté, la faim.
Hilda Bernstein For their thriumphs and for their fears International Defense and Aid 1975 Editions révisées 1982, 1985 Jacqueline Dérens Femmes d’Afrique du Sud , Une histoire de résistance Editions NonLieu 2019
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