Jacob Zuma avait déclaré dans un moment d’euphorie que l’ANC resterait au pouvoir « jusqu’à ce que Jésus revienne sur terre ». L’outrance du propos est largement démentie par l’histoire du mouvement de libération et par les turbulences de son histoire avant et après son accession au pouvoir.
Les pères fondateurs du South African Native National Congress (SANNC) étaient des chefs traditionnels ou des indigènes qui avaient eu la chance d’être éduqués dans les écoles de mission chrétiennes. Ils formaient une petite élite noire éclairée que la brutalité du colonisateur offusquait, et que la compassion pour les souffrances de leur peuple avait poussé à intervenir auprès des autorités coloniales. Ils avaient fort poliment demandé une audience au roi d’Angleterre qui les avait non moins poliment éconduits, entre gentlemen la courtoisie est un art de vivre.
En 1912, le SANNC est né de cette frustration de voir toutes les demandes du peuple noir rejetées et de voir les terres ancestrales accaparées par la force en 1913. Sol Plaajte, le premier secrétaire général du Congrès, a fait un récit particulièrement documenté de ce moment tragique dans son ouvrage Native Life in South Africa, publié en 1916.
Jusqu’en 1920, le SANNC ne fera ne fera guère de déclarations ou d’action révolutionnaires, mais des mouvements de travailleurs s’opposeront avec beaucoup plus de dynamisme à l’exploitation sans limite du patronat blanc dans les fermes, les mines et les usines. Industrial and Commercial Union (ICU), sera fortement influencé par le tout jeune parti communiste d’Afrique du Sud (CPSA) crée en 1921. Cette influence ne faiblira pas et nombre de dirigeants de ce qui deviendra en 1923 l’African National Congress seront aussi des dirigeants du parti communiste ou/et des dirigeants syndicaux. La répression les frappera tous sans exception, car il ne faut pas oublier que l’une des lois emblématiques du régime d’apartheid sera la loi sur la répression du communisme utilisée contre tous les opposants au régime, communistes ou pas, la crainte des « Reds under the bed » étant l’obsession du Parti national au pouvoir.
Cette proximité du mouvement de libération et du parti communiste entraîne souvent un amalgame qui brouille la perception de la nature même de l’ANC. La lutte pour la libération nationale contre l’oppresseur blanc et la lutte pour le socialisme ont fait l’objet de débats passionnés entre les partenaires et de nombreux écrits. La participation des dirigeants communistes dans tous les grands moments historiques de la lutte de libération : campagne de défiance des années 1950 ; adoption de la Charte de la liberté ; procès de Rivonia ; négociations des années 1990 et la présence de ministres communistes au gouvernement depuis 1994 font que des observateurs peu attentifs affublent trop vite l’ANC du qualificatif de marxiste.
L’idée, bien entretenue par la propagande de l’ANC lui-même, que le mouvement de Nelson Mandela est le seul dépositaire de la lutte contre l’oppression est démentie par les faits. Outre les scissions intervenues au sein même de l’ANC avec la création du PAC ; l’émergence du Mouvement de la conscience noire de Steve Biko ; les grandes grèves qui ont précédé la révolte des jeunes de Soweto en 1976 ont fait l’histoire de la lutte de la libération. Ce qui n’enlève rien au dévouement et au sacrifice des militants de l’ANC dans la lutte contre l’apartheid et à l’intelligence politique de ses dirigeants, communistes ou pas.
Aujourd’hui que l’ANC au pouvoir depuis 1994 traverse une crise grave, que son leadership est sérieusement remis en cause, sans une reprise en mains ferme pour évacuer les éléments corrompus, retrouver le sens du bien commun pour lutter contre les inégalités, extirper la gangrène mafieuse qui sape l’économie du pays, le règne de l’ANC pourrait bien prendre fin aux prochaines élections sans annonce du retour de Jésus.
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