Cent ans après les Lois sur la terre

Depuis la colonisation, les Européens n’ont eu de cesse d’accaparer les terres des populations d’Afrique du Sud. Les Lois sur la Terre de 1913 ont définitivement affirmé le droit des Européens sur la terre africaine créant une société fondée sur l’asservissement et la dépossession de la majorité noire par la minorité blanche. La question de la terre, de la réforme agraire, de la restitution des terres est l’un des chantiers du gouvernement démocratique qui a pris un retard considérable.

Comment ne pas citer pour commémorer les Lois sur la Terre et le désastre qui frappa la population noire, ce que dit SOL PLAATJE, journaliste et écrivain, premier secrétaire du SANNC, qui deviendra quelques années plus tard l’ANC, dans son ouvrage NATIVE LIFE : .......il faisait froid cet après-midi alors que nous parcourions à bicyclette l’État Libre et les vents du sud s’étaient levés. Un blizzard coupant fit rage toute la nuit et les mères indigènes, chassées de leurs maisons, tremblaient de froid, leurs petits à leurs cotés. Quand nous vîmes, cette nuit-là, les dents des petits enfants claquer de froid, nous avons pensé à nos propres enfants rentrés dans leur maison de Kimberley après avoir joyeusement gambadé avec leurs camarades de classe dans leurs vêtements bien chauds et nous nous sommes demandés ce que ces petits ici avaient bien pu faire pour qu’un toit soit subitement devenu un souvenir du passé..."

Les lois sur la terre de 1913 priveront définitivement la population noire d’accès à la terre et la transformeront en une misérable foule de métayers ou d’ouvriers agricoles livrés corps et âme au bon vouloir du propriétaire terrien blanc. La dépossession de la terre est la pierre angulaire de la stratégie coloniale sud-africaine, celle qui a fait de millions de paysans noirs des étrangers dans leur propre pays.

Pour le colonisateur, l’indigène représente une force de travail à contrôler de près afin d’en tirer le maximum de profit. Quand l’économie sud-africaine fut bouleversée par la découverte de l’or et des diamants au milieu du 19ème siècle, un des problèmes majeurs pour les industriels blancs fut de trouver de la main-d’oeuvre pour travailler dans les mines. Ce problème de la main-d’oeuvre se posait aussi pour les autres catégories d’employeurs, les fermiers et les commerçants, car il fallait nourrir et répondre aux besoins d’une population urbaine croissante.

En laissant seulement 7% des terres à la population noire, en lui interdisant tout accès à la terre en dehors de cette délimitation, les lois sur la terre ont ouvert la voie à un pouvoir blanc tout-puissant qui ira jusqu’à déporter la population noire dans ces vastes réserves que seront les bantoustans, 50 ans plus tard. Aujourd’hui, les provinces les plus pauvres, Limpopo, Cap oriental, Nord-Ouest recoupent les anciens territoires de ces réserves sans aucune infrastructure avec une population pauvre et largement illettrée.

Dans un article publié par The South African Civil Society, Richard Pithouse, professeur à Rhodes University, argumente que la résistance rurale n’a jamais atteint la puissance de celle du monde ouvrier et urbain qui par sa force d’organisation a pu se faire entendre du nouveau pouvoir et défier sa politique néolibérale, alors que les anciens bantoustans forment « une sphère de la société dans laquelle il y a une forme amoindrie de citoyenneté » où le pouvoir de la chefferie traditionnelle est encore puissante et où les plus pauvres n’arrivent pas à se faire entendre.

Ceux qui avaient des terres avant 1913 peuvent déposer une requête pour la restitution de leur propriété, le gouvernement vient de prolonger cette possibilité jusqu’en 2018. La procédure est si complexe que peu de cas ont été traités et qu’un manuel dans les onze langues officielles va être mis à la disposition des demandeurs pour qu’ils arrivent à se retrouver dans le dédale administratif sans avoir recours à des requins qui ont flairé la bonne affaire et proposent leur service contre rémunération.

La lenteur de la réforme agraire n’est pas dû qu’à la seule complexité des procédures légales, argumente de son côté Sipho M Pityana qui préside le Conseil pour l’avancement de la Constitution sud-africaine, mais de choix poltique. Pour lui, ce n’est pas la Constitution qui empêche la restitution des terres, mais l’interprétation qui en est faite pour mener des politiques qui sont plus favorables aux puissants, les chefs traditionnels, les fermiers blancs et les compagnies minières, qu’à ceux qui ne possèdent rien. La majorité de la population rurale ne bénéficie pas encore du droit à la propriété pourtant inscrit dans la Constitution.

Pour Sipho M Pityana et d’autres juristes, la section 25 de la Constitution qui garantit le droit de propriété est souvent utilisée par les fermiers blancs pour s’opposer à toute mesure d’expulsion parce que « la question de la terre n’est pas seulement une question d’agriculture, mais aussi celle des ressources minières qui sont au cœur de notre économie ».

Pour la plupart des commentateurs de ce centenaire des lois sur la terre, il faudrait une véritable volonté politique pour faire disparaitre cet héritage qui pèse encore lourdement et transformer vraiment la société sud-africaine en une société plus juste où chacun aurait des droits égaux.

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