La tempête autour du tableau de Bratt Murray a remis à nu les plaies à peine cicatrisées de la société sud-africaine et a mis au défi la très jeune démocratie qui garantit dans sa constitution les droits de la personne et le droit d’expression. Analyses et commentaires pour essayer d’y voir plus clair abondent dans la presse.
La plainte déposée devant les tribunaux par le Président Jacob Zuma, puis retirée, la manifestation devant la galerie qui exposait le tableau, le retrait du tableau sur le site internet de la galerie Goodman et du journal City Press et les diverses tractations des uns et des autres ont calmé le jeu sans apporter de réponses aux questions qui taraudent la société sud-africaine.
La construction d’une société non-raciale sur les vestiges d’une société qui avait fait de la division raciale sa raison d’être semble plus difficile à réaliser que la victoire politique de 1994 le laissait espérer. La nation arc-en-ciel n’a pas encore réussi à faire tomber les murs entre « nous et eux ».
Le tableau a choqué les dirigeants noirs et la population noire du pays parce que cette représentation leur a rappelé le temps de l’apartheid où les prisonniers politiques étaient systématiquement dénudés pour les fouilles et interrogatoires , « la douleur et la peine ont ressurgi a cause de cette image ». La résurgence de ce passé si proche s’est exprimée par des slogans racistes du type « les Blancs haïssent les Noirs ».
Comme l’écrit Stephen Grootes « la querelle s’est centrée finalement sur des questions de race et de l’histoire de l’Afrique du Sud. Certains étaient en position plus forte que d’autres. Beaucoup de Blancs ont simplement refusé de s’engager publiquement dans le débat ». L’humiliation publique du Président Zuma a pour beaucoup de Noirs était ressentie comme une insulte envers eux-mêmes. La question de savoir si ce tableau était une œuvre d’art ou pas ne s’est pas posée, ils n’ont vu là qu’arrogance de la part d’un artiste blanc.
Pour Steve Friedman, la colère à la vue du tableau n’est pas une diversion triviale, mais l’expression d’une frustration profonde pour la majorité de la population à qui l’accès aux mêmes droits n’est pas encore acquis en dépit des textes. Dans la réalité vécue par la majorité « la loi de la minorité est toujours là. Et si la tempête autour de ce tableau en a été le révélateur, tant mieux pour notre pays » conclut Steve Friedman.
Le droit d’expression et la culture n’ont pas vraiment été au cœur de la controverse et l’affirmation par le Ministre des arts et de la culture dans Anc Today que les artistes n’avaient rien à craindre du gouvernement vise à l’apaisement en constatant que beaucoup reste à faire : « la tension créée par le tableau La Lance a montré en réalité que notre société a besoin de grands efforts pour arriver à cicatriser, réconcilier et construire notre nation » et de conclure en citant Nelson Mandela « car être libre ce n’est pas seulement briser ses chaînes, mais vivre de façon à respecter et renforcer la liberté des autres ».
Plusieurs commentateurs voient dans cette affaire tout autre chose qu’une affaire de liberté d’expression artistique ou d’offense au chef de l’Etat. Cette affaire marque-t-elle un tournant dans la politique de l’Anc ? Le populisme va-t-il remplacer le droit ? Certains se le demandent quand les dirigeants clament que maintenant « trop c’est trop » et ce qui ne peut s’obtenir par la loi s’obtiendra dans la rue. Le soutien de la rue à Jacob Zuma n’est-il pas une façon de préparer sa candidature pour un second mandat ?
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