Les fruits amers de la vallée d’Elgin

Cela pourrait être un endroit où il fait bon vivre, avec des collines douces et des vergers et des vignobles à perte de vue, la vallée d’Elgin est la région fruitière la plus importante d’Afrique du Sud. C’est aussi là que les travailleurs saisonniers essaient de gagner le plus d’argent possible pendant la saison de la cueillette, à condition de travailler sans relâche.

Ce scénario habituel a été perturbé par des manifestations d’une rare violence à Grabouw, la petite ville de la vallée agricole. Jets de pierres, pneus enflammés, pelles et pioches des habitants, et balles en caoutchouc de la police ont fait de Grabouw un champ de bataille ce lundi 19 mars.

Tout a commencé par la colère des parents d’élèves de l’école Umyezo Wama Apile School , un ancien hostel pour travailleurs migrants, qui accueillent majoritairement des élèves noirs, Xhosa et Sotho, de la première année du primaire à la fin des études secondaires. 1 850 élèves qui s’entassent dans des locaux inadaptés sans assez d’enseignants et de matériel scolaire. Les parents veulent que les enfants du primaire et du secondaire soient accueillis dans deux écoles différentes.

La Province du Cap est celle qui obtient les meilleures résultats scolaires : 82,9 % de réussite au "matric". La province voisine du Cap oriental celle où les résultats scolaires sont les plus mauvais : 58,1% au "matric". Ce qui explique que 600 nouveaux élèves ont été inscrits dans cette école en janvier sans moyens supplémentaires. Helen Zille, responsable de la province du Cap occidental et du parti d’opposition DA en parlant de "réfugiés" a réussi à mettre un peu plus d’huile sur le feu sur une situation très volatile.

La communauté métisse envoie ses enfants dans d’autres écoles comme l’école secondaire de Groenberg où trois salles de classe ont été vandalisées et la réserve de fourniture a failli être incendiée. Alors les esprits se sont enflammés, et les voisins d’hier sont devenus les ennemis d’aujourd’hui.

Les vieilles haines ont remonté à la surface, les insultes ont fusé, les pierres ont commencé à pleuvoir entre les communautés métisses et noires, les unes accusant les autres d’avoir trop alors que les deux communautés souffrent des mêmes maux : injustices et inégalités héritées du passé et incompétence des autorités d’aujourd’hui à réduire ces inégalités. Inégalités si criantes qu’elles engendrent frustration et colère dont les victimes sont ceux-là même qui souffrent le plus.

La situation qui avait forcé la police a coupé la route vers la ville du Cap s’est peu à peu calmée mais si les revendications des parents d’élèves restent lettre morte, le représentant de l’association civique menace de rendre la zone « ingouvernable ».

Les travailleurs saisonniers pris dans la tourmente ne sont pas allés travailler. Ils vivent dans les townships autour de la ville plutôt que sur les fermes où ils travaillent temporairement et les déplacements étaient risqués.

Pour eux une journée de travail perdue représente un salaire de 70 rands, soit 7 euros, qui peut être augmenté de quelques rands en ramassant des seaux de fruits supplémentaires. La plupart de ces travailleurs saisonniers viennent de la province voisine, celle du Cap oriental, une des plus pauvres du pays qui s’étend sur une grande partie des anciens bantoustans du Transkei et du Ciskei. Ici ils peuvent gagner en une semaine ce qu’ils ne gagneront jamais dans leur province en un mois.

Sur ce salaire, le saisonnier envoie au moins 500 rands par mois à la famille et vit avec environ 200 rands et économise le reste. Les femmes qui trient les fruits font la même chose. Une journée de travail perdue est donc une perte importante. Tout ce que ces travailleurs souhaitent c’est que le calme revienne au plus vite.

Cette explosion de violence résume à elle seule ce dont souffre l’Afrique du Sud aujourd’hui : les inégalités de la société sud africaine , les espoirs déçus d’une population pauvre qui ne voit pas venir la vie meilleure qu’elle espérait, rongée par la frustration, prompte à faire resurgir les vieux démons du racisme comme réponse à ses difficultés quotidiennes.

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