Afrique du Sud : quelle liberté pour la presse ?

Comme toute démocratie, l’Afrique du Sud veut une presse libre et responsable. Toute tentative de mettre en place un système de régulation rappelle les heures sombres de la censure au temps de l’apartheid. Le débat est vif entre les tenants d’une liberté inconditionnelle et le gouvernement qui veut mettre en place un mécanisme de contrôle de l’information.

La question de la liberté de la presse n’est pas spécifique à l’Afrique du Sud, mais le sujet y est certainement plus sensible que partout ailleurs. La censure a fait des ravages au temps de l’apartheid et la presse était un outil efficace pour la propagande du régime d’apartheid. Aussi toute idée de contrôle de la presse, même avec les meilleures intentions suscite la suspicion.

La presse, comme le rappelle Pallo Jordan, ancien ministre de la culture dans un article de AncToday, a aussi été un outil de lutte pour dénoncer les injustices et les crimes de la colonisation et de l’apartheid. Dès 1820 des journalistes courageux anti-esclavagistes comme Thomas Pringle et John Fairbarn ont vite découvert les limites de la liberté d’expression dans le système colonial. Tout au long des dix-neuf et vingtième siècles, la lutte pour la liberté de la presse et la lutte d’émancipation nationale ont été étroitement liées et cette union est parfaitement incarnée dans la personne de Solomon Plaatje, journaliste, écrivain, traducteur et premier secrétaire de l’Anc en 1912.

Des journalistes ont payé au prix fort la liberté de s’exprimer et dire la vérité sur les atrocités du régime d’apartheid. Donald Woods qui a refusé d’admettre la version officielle de la mort de Steve Biko, Govan Mbeki, Brian Bunting qui ont connu la prison, Joe Gqabi, Ruth First qui ont payé de leur vie.

La liberté d’expression et la liberté de la presse sont des droits fondamentaux inscrits dans la constitution sud-africaine et Pallo Jordan ne peut pas imaginer qu’un gouvernement dirigé par l’Anc remettent ces droits en question. Et pourtant il s’agit bien de cela avec l’idée de constituer un tribunal pour les médias et d’une loi pour protéger l’information.

L’Anc qui a fait cette proposition argumente sur le fait que la presse actuelle est toujours aux mains d’une élite plus préoccupée de rapporter sur les luttes intestines dans les couloirs du pouvoir et de plaire à un lectorat de la classe moyenne plutôt que de parler des vrais problèmes de la majorité de la population toujours laissée pour compte.

Cette opinion est partagée par des analystes et politologues, qu’on ne peut guère accuser de favoritisme envers le gouvernement comme Steven Friedman, qui dans un article du Business Day pose la question : pourquoi la presse n’utilise pas la liberté dont elle dispose pour nous donner l’information dont nous avons besoin ?

Jeremy Cronin, secrétaire du Sacp et s’exprimant dans un autre quotidien, donne peut-être une réponse en rappelant que la presse sud-africaine est aux mains de deux groupes de presse dont l’un est étranger et que la question de la rentabilité prime sur la qualité de l’information, que les licenciements de journalistes chevronnés vont bon train pour embaucher de jeunes journalistes moins expérimentés et moins payés. Le résultat est que la presse s’abaisse à donner aux lecteurs moyens des articles médiocres pour vendre du papier.

La presse n’est pas au-dessus des lois, ne peut pas divulguer tout et n’importe quoi et n’a pas le monopole de dire ce qui est juste et bon pour une société. Ce que dit et écrit la presse n’est pas forcément la vérité, la seule et unique vérité. Le dialogue, l’échange, la confrontation d’idées, d’arguments, de preuves permettent de cerner la vérité. Mais un tribunal, une loi encadrant les sources de l’information sont-ils les meilleurs outils pour assurer la liberté de la presse ? C’est le débat qui fait rage et qui est à l’origine d’un nombre important de conférences et débats sur la presse, de déclarations et pétitions d’intellectuels en ce moment en Afrique du Sud.

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